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Le Retour des Hirondelles

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Les hirondelles qui s’arrêtent à Nice, en automne, sont-elles les mêmes qui ont cisaillé le ciel de Parme tout l’été?

A vol d’oiseau, ce n’est pas si loin… Il ne leur faut certes pas tout le temps que j’ai mis cet été-là, pour rentrer par le train de vacanciers, avec arrêt à toutes les gares de la Riviera, bondé de gens de toute sorte – valises trop grandes, petits chiens à la mode, odeurs de sandwichs et de pizzas froides – les voix braillardes qui s’entremêlent, et la chaleur, à n’en plus finir…

Certains profitaient du voyage pour vendre une voiture d’occasion – échanger des numéros de téléphone ; des jeunes filles maintenaient le contact par portable obligatoire avec des amis voyageant en voiture. Il y avait aussi… Trop de gens, il y avait : beaucoup de jeunes debouts dans le couloir, mal assis sur leurs sacs empilés. Pourquoi n’avais-je pas pris la ligne directe?

La tempête des jours précédents avait embourbé les eaux et des traces de pluie , couleur de limon, maculaient le paysage, qui traversait les vitres en longues coulures d’un vert sale. De temps à autre, un plongeur faisait s’exclamer les passagers surpris, découvrant, en surplomb, les gerbes d’écume qu’il soulevait. Le train se vidait et se remplissait sans cesse : il semblait que le monde entier avait décidé de se déplacer, à sauts de puce, sur ce trajet ; tous enjambaient, comme une ombre silencieuse, un homme assis dans le couloir. J’avais oublié, ou n’avais pas remarqué, quand il avait embarqué : au premier arrêt après Milan?

Là sans y être, tache noire parmi l’essaim coloré et bruyant de vacanciers en short, de vieilles maquillées couvertes de bijoux dorés, de vitelloni devenus de vieux boeufs bronzés aux UV… Il se taisait, se déplaçait comme une algue, selon le flux des voyageurs, parfois visible, parfois lointain, toujours solitaire. Je le remarquai assez tard, parce qu’il m’évoquait un autre voyage entre Aix et Marseille : un homme s’était dressé soudain dans le couloir où tous le bousculaient pour entrer et sortir – et il avait crié – un long cri déchirant – puis il avait sorti sa carte de militaire, qu’il pointait du doigt en lançant des sanglots de mots rauques – ancien légionnaire, il criait son désespoir de chômeur et de marginal, cherchant dans les regards qui l’évitaient une réponse, un sens à son abandon.

Un peu avant San Remo, on put s’asseoir plus confortablement. Ce muet compagnon de route rejoignit notre compartiment, avec un seul petit sac, aussi fatigué que lui – de ces sacs qui ont fait nombre de voyages sans prestige. Il sourit, et se replia sur ses pensées – et nous sur les nôtres. Il avait l’air tellement las, tellement usé, que je m’interrogeais sur les raisons de son voyage. Alors que je remarquais, machinalement et à mi-voix, la présence de nombreux climatiseurs sur les toits verruqueux – il prit la parole : « Sur la Riviera, on récupère tous les espaces pour les louer aux touristes. Sous le toit – c’est la place des domestiques : ou tout en haut, ou tout en bas, il n’y a pas de juste milieu ». Puis il sourit, et nous salua : il était finalement arrivé. Après un voyage de vingt-quatre heures. Venu du sud de la Botte pour prendre un travail saisonnier. Ombre noire, il descendit, avec les derniers passagers, avant la frontière.

De Parme à Nice, les hirondelles survolent tant de toits et tant de climatiseurs… Qui se trouve en dessous n’existe pas pour elles. Et celui qui demeure sous ces toits n’a pas non plus le temps de les regarder passer.

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