Accueil images Rencontres avec l’Homme Invisible

Rencontres avec l’Homme Invisible

0
0
455

1 A l'homme invisible marilyne BertonciniLa première fois que je me suis aperçue de son existence, c’était à cause de ses baskets. Elles étaient là, devant l’église – toutes seules. Enfin, accompagnées d’un petit écriteau signalant sa présence. Et vu la toute petite obole qui l’accompagnait, je pense que nous n’étions pas nombreux à avoir remarqué, dans la foule de l’après-midi, le minuscule autel aux chaussures solitaires.

J’ai d’abord souri, puis me suis interrogée, quand au hasard d’une promenade, je l’ai rencontré de nouveau. Enfin, ses baskets, plantées là, sur un seuil – accompagnées d’une canette vide. Des chaussures vides aussi – évidemment.A l'homme invisible Marilyne Bertoncini (2)

Et j’ai pensé à toutes les chaussures esseulées, abandonnées, inexplicablement dépareillées. Semelle veuves de l’empeigne, au détour d’un chemin… pantoufle couverte de mousse, au fond d’un parc abandonné… et même, sur un marché, parmi de vieux cuivres et des casques, la prothèse cuir et bois d’un mutilé de guerre.

Et j’ai pensé à toutes les traces de pas laissées par l’homme invisible : traces subtiles dans la poussière grise des villes, foulée légère du marcheur dans l’herbe humide du matin, empreinte du pêcheur dans la boue de la rive, ou marque lourde du manoeuvre dans la glaise du chantier…

L'homme invisible - Marilyne Bertoncini (2)Et j’ai pensé à tous les hommes invisibles, ces fantômes de nos vies présentes et passées, ces ombres claires qui nous frôlent sans qu’on les voie, nous touchant de l’ombre de leur main, à travers le mur qu’ils ont bâti, le pain qu’ils ont pétri, le vêtement que j’ai mis…

Qui nous frôlent sans voix, dans le silence obstiné de leurs pas déchaussés – sans papier, sans abri, dans le déni et la survie…

J’ai pensé à toute l’humanité invisible qui nous entoure – trimards, fuyards, réfugiés, déclassés, exploités : les chaussures de l’homme invisible sont les chaussures d’un homme pauvre.

Peut-être, alors, peut-être sont-elles là pour nous rappeler que ces fantômes qu’on ignore vibrent, aiment, souffrent leur vie, en creux, dans le monde où nous marchons sans savoir qu’on les côtoie, frères inapparents que manifestent ces reliques.

L'Homme invisible - marilyne Bertoncini

 

Charger d'autres articles liés
Charger d'autres écrits par marilyne bertoncini
Charger d'autres écrits dans images

Laisser un commentaire

Consulter aussi

Genèse du Langage (extrait – poème pour une création en papier végétal de Brigitte Marcerou)

    Dans la paix verte sa voix infime le filet d’une voix où s’agrèg…