Les gens discrets sont invisibles – et c’est bien triste : Françoise Vignet pratique depuis des années le partage de poésie avec une lettre par mail, qui offre à ses abonnés l’éclosion d’un poème sur écran, avec toute la magie de la proximité. Recours au poème avait, en février 2019, donné carte blanche à la poète pour parler de son projet et je souhaite aujourd’hui la remercier en vous proposant de lire son dernier envoi – dont me touche particulièrement le thème traité dans le poème liminaire, qui ramène à la mémoire nombre de souvenirs d’enfance.
N’hésitez pas à vous abonner en la contactant à l’adresse mail indiquée en bas de page.
Ainsi parle le mineur André
Le mineur André brandit le pic
il prit dans sa main une poignée de charbon
il se mit à genoux et s’inclinant sur son poing noir
il parla :
- Nom de Dieu, je t’ai pioché partout
encore morveux j’ai commencé à Terbvolié
ensuite j’ai creusé à Zagorié un nouveau puits
juste devant moi s’est effondré le plafond de la fosse
là pour la première fois dans une salle comble
j’ai entendu les mots que jamais je n’ai oubliés
avec ces mots j’ai dû fuir en Allemagne
puis à Forbach je me suis blessé à la jambe
à Saint-Avold j’ai enterré mon fils
le second fut écrasé à Spittel non loin
dans les corporations d’Essen j’ai bagarré contre les jaunes
à Lens le grisou m’a brûlé la gueule
en Hollande j’ai été trahi par mes compatriotes mêmes
ah ! maudit tout ça, que tout ça soit maudit !
André se releva, brandit une nouvelle fois le pic
et fendit le roc en deux
et se penchant vers lui
il parla de nouveau :
- Maintenant, c’est toi que je pioche charbon du sol natal
toi pierre noire partout au monde pareille
à chaque traverse que je pose
mon dos se voûte davantage
chaque fois lorsque je vide une fosse
la vieille rancune augmente dans ma poitrine
chaque jour que je passe en crevant dans le noir
le temps se rapproche qui sera bon et nouveau
quand je ne te piocherai plus haineux et maudissant
lorsque je serai fier de ma main calleuse et lourde
quand charbon de notre sol tu seras enfin nôtre
quand l’existence sera vraiment digne de s’appeler vie
et que nous saisirons la vieille misère par le cou
- car ça doit venir…
il faudra bien que ça vienne un jour, que diable !
Mile Klopçiç (1905, L’Hôpital, France -1984, Ljubljana, Slovénie)
http://www.celjskozasavski.si/osebe/klopčič-mile/21/
in Petite Anthologie de poèmes slovènes « Œillets rouges pour Paris »*,
traduit du slovène par Veno PILON, adaptation française par A. Praillet et J. Vodaine,
1970, chez Jean VODAINE. 57 Basse-Yutz. https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Vodaine
- « Vous prendrez bien un poème ? » : envoi n°445 Sreçko KOSOVEL
« Le Vent » https://fr.wikipedia.org/wiki/Sre%C4%8Dko_Kosovel
Françoise Vignet