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Luca Ariano : la fabrique du poème

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Dans un entretien donné à la revue L'Estroverso, le poète Luca Ariano parle de sa conception de la poésie et de son écriture : 

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Quelle est ou quelle devrait être la langue idéale de la poésie?

Pour moi, le langage idéal devrait être celui que l’on ressent en soi comme la langue du cœur, celle qu’on utilise quand on pense ou qu’on rêve. Peu importe, selon moi, qu’on soit né dans un pays pour ensuite émigrer vers un autre. Il y a de nombreux exemples dans la littérature, pensez à Conrad (qui n’était bien sûr pas poète). J’apprécie toujours techniquement le travail de ceux qui écrivent à leur bureau dans une autre langue, peut-être la réinventant, dans un dialecte qui n’existe pas, mais je les trouve toujours froides, cela ne m’émeut pas. Franco Loi, pour ne citer qu’un grand poète, effectue un travail merveilleux, en écrivant dans cette langue qu’il ressent comme la sienne sans artifices ni constructions, mais c’est un dialecte qui mêle le milanais à des influences dialectales de Colorno, par exemple. L’important est que l’écrivain soit honnête envers lui-même, envers le poème et envers ceux qui voudront lire ses écrits.

Dans quelle mesure la forme affecte-t-elle l’essentialité de la parole poétique?

La forme est certainement très importante dans l’écriture poétique, mais elle ne doit pas être la seule. Comme je l’ai dit précédemment, le style et la langue sont très importants, mais le poète ou l’écrivain doit toujours trouver le juste équilibre entre forme et contenu. Si un poème est impeccable du point de vue formel, mais ne transmet rien, c’est une création sans autre but qu’elle-même, comme à l’inverse : un texte très intéressant du point de vue de la poétique et de l’émotion, mais dont la forme est peu soignée laisse à désirer.

Pourrais-tu nous donner un poème ou un extrait de texte (par d’autres auteurs) dans lequel, à l’occasion, tu aimes à te réfugier, en nous dévoilant ce qui motive ta «préférence»?

Dix ans passés, à peine
avant que ne meure de nouveau mon père en moi
(de mauvaise grâce, il est tombé
et un banc de brouillard nous divise à jamais.)

Ces lignes tirées de l’Autostrada della Cisa de Vittorio Sereni (publiée dans Stella Variabile) sont pour moi un exemple admirable de contenu et de forme, de ce qui a été dit auparavant. Vittorio Sereni est l’un de mes poètes préférés, Lombard comme moi, dans sa vie il n’a publié que quatre recueils de poèmes, déjà cela, à une époque où l’on assiste à une marée de publications, est une grande leçon de sérieux et de respect pour la poésie. J’ai toujours apprécié les réflexions de Sereni sur l’existence, sa nuance mélancolique m’a toujours fait entrevoir des ouvertures. Des images toujours très vives et un soin porté au vers, que j’envie. Les instruments humains est l’un des recueils les plus intéressants du XXe siècle. Combien de poètes s’en sont-ils inspirés ? Pour combien fut-il un maître?

Un autre poète que je lis et relis souvent est Giorgio Caproni, ainsi que Pier Luigi Bacchini. Qu’est-ce qu’ils m’ont appris? Ce sont des poètes qui, même après des lectures répétées, ont toujours un message nouveau, des perspectives différentes, immédiatement identifiables dans leur style et inimitables car ils sont désormais des classiques de la poésie et comme les grands classiques, ils ne cessent de nous transmettre quelque chose.

Quelle est ton explication / définition «actuelle» de la poésie?

La réponse se prête à de très longues réflexions et je ne veux certainement pas ennuyer le lecteur. En résumé: l’homme a toujours été attiré par la forme et le genre poétique, qui ont changé au fil des millénaires, et bien sûr, il essaiera toujours de s’exprimer sous cette forme tant qu’il y aura de l’écriture. Je crois que c’est inné chez l’homme quand d’autres formes d’écrits tels que le roman, l’essai, etc. ne suffisent pas. Le besoin extrême de communiquer nos émotions les plus intimes (souvent nous ne savons même pas pourquoi) nous pousse à le transmettre sous forme de vers ou d’une forme similaire. Ici, nous devrions également parler de la forme de poésie / chanson si populaire depuis le milieu du XXème siècle, mais la discussion est ample et complexe. Comme je l’ai déjà dit, la tâche difficile du poète est de trouver le juste milieu entre ce qu’il ressent et la façon dont il veut l’exprimer, comme un sculpteur qui façonne le marbre, le but est la perfection et la pureté du vers.

Pour conclure, parmi les œuvres inédites que tu nous as données, choisis celle qui, à rebours dans le temps, nous raménera avant le brouillon complet ou le premier brouillon, pour nous dire ce qui « s’est passé » afin de nous permettre de partager (et de mieux comprendre) le chemin qui l’a vu naître.

Il y a quelques jours du train
- la dernière fois -
champs saupoudrés de neige
dans l’illusion d’hiver.
Maintenant des rails de brouillard
et dans cette taverne
une arrivée en barque :
Fréquentée par l’Arioste on dirait…
Le Tasse, devenus menu touristique.

Ces lignes sont les premiers mots d’un poème publié ici. Il est né lors d’un voyage à Ferrare, quelques jours après une chute de neige. De la fenêtre, je pouvais voir le paysage que je décris et une fois arrivé, j’ai visité les lieux fréquentés par le Tasso et l’Arioste. Bien sûr, je n’ai pas écrit le poème en temps réel ni pris des notes de ce que j’ai vu. J’ai accumulé des images jusqu’à ce que, « rempli d’elles », j’ai dû les écrire. Je les écris généralement à la main dans un carnet et je les laisse là pendant quelques jours. Puis, je les retouche au stylo et je recopie sur l’ordinateur. Après un an, si je la retiens, la poésie fera partie de la section que j’écris et cinq ans après, peut-être du recueil. Dans tous ces passages, je retouche des vers : du point de vue lexical, de synonymes, du rythme, etc. Au bout de cinq ans, je m’arrête sinon je continuerais indéfiniment.

(traduction Marilyne Bertoncini)

La totalité de l’entretien et des poèmes en suivant le lien vers l’ article de la revue L’Estroverso

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