L’empreinte du vent
Il s’élance contre le ciel serein ce vent fou
portant dans ses bras aériens
une tremblante attente de gemmes.
L’âme court à la rencontre
d’un miracle inconnu
portant en tout son être
une infinie et prodigieuse attente.
Reviennent mes pas dans les rues
abandonnées,
pour un soleil qui rie
comme dans des lieux lointains,
pour un air qui sente
comme dans les jours perdus.
Revient l’angoisse du passé
et la certitude
la divine certitude revient:
oh, tu m’attends encore
au bout de cette rue,
près de l’antique grille
masquée de lierre noir!
encore et encore
tu me prends les mains
et me les embrasses
et tu m’appelles iris …
Il cogne, le vent fou et se brise
contre de lourde masses nuageuses.
L’air semble mourir
à bout de souffle.
Oh, toi, tu ne reviens pas,
tu ne peux pas revenir!
Une bien autre douleur,
et beaucoup plus de sang
appellent des miracles!
Tombe le vent fou : le serein
se perd derrière les brumes grises.
L’âme semble mourir
sans plus de rêves.
Et le ciel désormais irisé
appelle, appelle,
dans l’immense vide,
un sourire d’étoiles.
Près de l’ancienne grille,
contre les croix noires du lierre,
une fleuriste a déposé ses fleurs.
Pour quelques lires je m’achète
un maigre bouquet de freesias,
et pour consoler mon âme
il me suffit de penser
que le grand miracle inconnu,
le mystérieux visage
de ma prodigieuse attente,
se referme dans ces bouches tendues
qui mordent de leurs lèvres de violettes
quelque pâle rayon de soleil;
dans ces vies ténues
que dans la mélancolie vespérale
tombée sur l’empreinte du vent,
puérilement je me donne,
à mon printemps.
Milan, 27 février 1931
(trad. Marilyne Bertoncini)
Antonia Pozzi, née le 13 février 1912 à Milan, a étudié à la Faculté de philologie de l’Université de Milan, où elle s’est liée au grand poète Vittorio Sereni et rencontre le philosophe Remo Cantoni. Après une thèse sur la formation littéraire de Gustave Flaubert, elle enseigne puis, en 1938,, elle collabore à la revue Corrente (it) et travaille à un projet de roman. Les lois raciales obligent certains de ses amis les plus proches à fuir l’Italie.
Le 2 décembre 1938, à la suite d’une tentative de suicide , elle est retrouvée inconsciente dans un fossé devant l’abbaye de Chiaravalle, dans la banlieue de Milan.
Elle meurt le lendemain et sa famille nie le suicide, attribuant la mort à une pneumonie. Le testament d’Antonia est déchiré par son père, qui a manipulé aussi ses poèmes, écrits sur des cahiers et inédits pour l’époque.