
photo mbp – aéroport de Nice
La Fuite précipitée du Thrace
Théoriquement, si un objet se déplace trop vite, l’espace qui l’entoure se déforme.
En est-il de même pour la mémoire ? Me voici de retour au même endroit
sur la ligne droite reliant le nouveau terminal à l’ancien, semblable à ce réfugié thrace de l’antiquité
qui venait de puiser un seau d’eau
et qui était en train de traire sa chèvre
quand les Romains entrèrent par effraction. Il sauta dans sa charrette à bœufs et s’enfuit précipitamment avec sa famille
et leurs affaires. Il fonçait pour sauver sa vie. Mais moi, pourquoi est-ce que je me précipite ?
Pour un autre réunion, ou un autre départ ?
Je sais que jamais plus je ne pourrais revivre ce jour
Même les Allemands, si scrupuleux, ne pourraient dessiner ce terminal précisément en ce moment -là sur une feuille de papier.
Pas plus qu’il n’y a le moindre indice d’un « été allemand » dans l’air du mois de mai.
Tout change si vite !
Je me souviens encore de ce jour d’il y a dix-huit ans
Exactement au même endroit : j’attendais devant le hall d’arrivée
A l’intérieur, un garçon de sept ans sautillait d’avant en arrière
ricochant comme une pièce de monnaie, avant de disparaître
« Est-ce lui? Pourquoi n’est-il pas plus grand que l’an dernier ? »
J’étais troublé et dubitatif
La scène est toujours vive dans ma mémoire, je revois un rayon de soleil
Frappant mon genou depuis la vitre
Sa chaleur te faisait rougir. Les champs dans la banlieue de Munich
étaient alors plats comme des serviettes bien pliées
Une scène seule manque à ma mémoire
Le garçonnet et le vieux S-Bahn vert clair
Qui nous menait et ramenait vers de nouvelles réunions. Nous revenions au couchant
avec une expression de satisfaction sur le visage
« Pas de problème, les dieux nous guideront toujours à travers tout. »
Le Thrace aussi croyait pouvoir finalement trouver
un autre doux printemps, sa famille et
la chèvre qui s’était égarée
L’histoire est infiniment précaire, tout comme la mémoire
comme ce Thrace obscur
comme, dans ma poche, froissée, la carte d’embarquement.
26 avril 2018
sur mon vol Sofia-Francfort
adaptation Marilyne Bertoncini
L’auteur :
M. DENG Xiang est né en 1963 à Yingshan, Sichuan, Chine, et est diplômé de l’Université des sciences et technologies de Chengdu en 1983. Il a commencé à écrire de la poésie en 1980 et en 1982, avec ZHAO Ye, BEI Wang, TANG Yaping et d’autres. étudiants universitaires, avec lesquels il a fondé la « Fédération de poésie des étudiants de l’Université de Chengdu » et la publication de poésie « Troisième génération » (1983.1), le premier texte de poésie du mouvement poétique de la troisième génération en Chine. En 1988, lui et d’autres poètes ont organisé le journal poétique Dynasty. Il a publié son recueil de poésie Paysage de Castille (1988), Sud (2014) et Plantes du jardin abandonné (2015). il est devenu universitaire après les années 1990, actuellement professeur à l’Université du Sichuan, où il est professeur titulaire de la chaire Jean Monnet de l’Union européenne (2014-2018) et professeur invité à l’Université de Lancaster au Royaume-Uni (2023).