L’arbre à savonnette (sapindus saponaria) : descente au Pajās[i]
Le cœur est la source d’un feu qui éclaire toute l’existence charnelle,
laissant un crâne creux et inaltérable。
La Descente au Pajās, la scène d’un cheval blanc
traversant au galop les profondeurs du désert.
« Souvenirs » du poète Chang Yao
Voici révolu le temps de nos spéculations, car cet arbre même est le dévorateur de toutes les infinies douleurs.
Toi, noble créature, répète avec moi le mantra, alors que le soleil est au zénith encore de la voûte céleste.
Cent-huit perles composent le chapelet mala : la première pour repousser les mauvais esprits, la seconde pour invoquer la sainteté, la troisième pour adorer Bouddha… ainsi s’explique notre besoin en bois de savonnette.
Quand parfois des éclairs émergent de ton esprit, même les ombres des montagnes deviennent des beautés couchées sous ton regard, accompagnant les levers et les couchers de lune, comme si le cheval blanc dont le nom est Temps survolait
Pajas, ce monde mortel, se posait sur le vaste royaume humain, scintillant tel un sourire imprimé à la surface de la Terre.
Tout était advenu quand les ombres des nuages tombèrent sur la terre
et les arbres lentement s’élevèrent vers le ciel
Des échos de prières affluent à sa pomme d’Adam : répétant la grâce des êtres sensibles retenus dans leur chute vers les enfers d’Avīci Niraja
Huit longues étamines appartiennent aux fleurs mâles, trois chambres se tiennent dans l’ovaire des fleurs femelles
La fleur évolue vers le fruit comme les perles s’enfilent sur un clair rayon de lune
dont la lumière ramène aux temps primitifs quand bêtes et humains,
pour défendre leur lignée, se battaient dans la jungle terrestre, récoltant des parfums venus du lointain d’au-delà de l’espace.
Drapeaux de louanges, nœuds suspendus aux yourtes
Premier cri d’un bébé…
Graines de Bodhi au frais parfum de terre
Même un rustre à cheval rayonne désormais de l’énergie de la jouvence.
Combien nous exaltons le carnage de la nature ! La nuit est tombée
et sont des martyrs tous ceux qui servent dans ce monde saha[ii]. Ou juste des esclaves dont les parcours de vie chevauchent les miens.
Dans la sauvagerie sans limites, construire et détruire se mènent en parallèle de façon solennelle.
Une machette brandie en l’air emportée par le vent, et tout ce qui demeure, ce sont les étoiles dans le ciel et l’éclair au-dessus du qin[iii] dont tu tires une musique.
Les peuples des tribus aux peintures de guerre se tiennent en embuscade
mais sur le plan miroir, une perle a glissé, et ont émergé des serpents sournois et de bienveillants bodhisattvas.
La Descente au Pajās est ce moment précis où les démons sont expulsés par de nouvelles incantations.
La chanson dit : « comme si planait sur le flanc de la colline la silhouette de quelqu’un,
Comme si quelqu’un… »
La peau est la barrière qui nous sépare
Les Asuras[iv] aux longs cheveux flottants sont des étrangers se réveillant sur terre.
C’est durant l’embrasement de ces belles et abominables aurores surgissant de la brume que se formait un sentiment de mélancolie
Même toute l’eau du monde ne suffira à étancher ta soif
Impossible de décrire l’invisible sans forme d’au-delà des frontières de la chair avec des formes, même d’or ou de pierre.
L’humiliation est ton pain, dans la débâcle de l’immensité, où seule demeure la montée des flots
Les restes de tes guerriers abandonnés, éparpillés[v] sur la terre, me contraignent, et j’en ai honte, à reconnaître ma lâcheté
Mêlant un peu de savonnette à de la rhubarbe, de la racine de souchet, et une petite pincée de sel
On guérit la douleur d’une rage de dents, fais-en de même pour le courage qu’il te faut afin de sortir du rang et réagir
Tes années crépusculaires sont recouvertes d’un sable d’or, comme une extase de rédemption
effaçant même tes souvenirs d’enfance, ressuscités à travers la langue de ton père.
Une roue hydraulique traverse la surface de l’eau qui se fige, apportant des gouttelettes de sang vers un puits profond.
La Descente au Pajās comme les pampilles d’une antique épingle à cheveux tombe en poussière.
La goutte d’un nuage rouge peinte sur ma poitrine de la pointe du pinceau
Là, des grues haut dans le ciel nous rappellant le pieux et divin roi Vaidunya, éclairé par Bouddha pour l’invention de ces perles.
Avec le temps, s’élèveront les montagnes dans le désert et les gratte-ciel disparaîtront dans un mirage, mais toujours perdurera l’omniprésente miséricorde
Ainsi secouant la terre de ses vêtements, le mystérieux joueur de flûte sort-il de sa tombe,
tenant dans ses mains la bride à tous les vents violents, les yeux pleins de la sérénité d’un amour infini.
23-24 août 2022
(adaptation Marilyne Bertoncini, à partir de la traduction anglaise de YIN Xiaoyuan)
[i] Sapindus saponaria – la savonnette à feuilles de laurier est un arbuste dont les fruits ronds produisent des fruits traditionnellement utilisées pour fabriquer du savon et des graines noires et rondes servant à fabriquer des boutons et des grains de chapelet. Dans la poésie classique, l’arbre est l’équivalent du « bodhi » (illumination ou éveil obtenu par la méditation et l’ascèse) – il est donc relié à l’idée de permanence, de paix intérieure. C’est pourquoi le titre indique da descente dans le Pajas – soit dans le monde des mortels. Ses fruits, comme des dons d’un Bodhisattva, aident ou délivrent les humains.
[ii] Le terme « monde saha » suggère que ses habitants doivent endurer des souffrances. On le considère aussi comme une terre impure, par contraste avec une terre pure. Le monde saha est celui où le bouddha Shakyamuni apparaît et instruit les êtres vivants, tout en endurant diverses épreuves.
[iii] Qin : Cithare chinoise, sur table en bois de wutong et à cordes de soie.
[iv] Les asuras sont des êtres démoniaques dans la mythologie de l’hindouisme. Ils apparaissent originellement comme un groupe particulier des deva (parfois appelés sura) avant de devenir dans l’Inde brahmanique leurs ennemis (divins en Iran, démoniaques en Inde).
[v] les guerriers éparpillés sur la terre » se réfère aux soldats mort sur le champ de bataille – on les enveloppait de nattes de bambou pour les ramener chez eux, mais quand ce n’était pas possible, ils étaient abandonnés sur place, où ne restaient que leurs os.
L’auteur :
Ölmalerico : Poète, auteur du long poème « L’Oracle », « Élégie des cygnes », de la série de poèmes « Au-delà des souvenirs brumeux ». Ancien éditeur de livres, présélectionné deux fois au Prix international de poésie « Artsbj » (2013 et 2014), Festival de poésie Chine-Rizhao (« La ville du soleil ») (2018). Ses œuvres ont été publiées dans « Shandong Literature » et d’autres magazines. .