
Le livre, réédité en hommage à l’artiste pour le centenaire de sa naissance, poursuit sa route – il a rencontré MacDem, dont la lecture m’a éblouie :
L’ANNEAU DE CHILLIDA
éd. L’Atelier du Grand Tétras
Il y a là un va-et-vient -
comme le rouleau donne son étendue, sa profondeur à la mer, comme le ressac renvoie plus infiniment la vague en l’enroulant en la relançant -
un va-et-vient entre le texte original et le texte autonome en même temps qu’écho de la poétesse, recréant le poème par son interprétation poétique de l’oeuvre sculpturale d’Eduardo Chillida, en l’occurrence L’ Anneau.
Un embrasement stellaire composé des cendres volcaniques de la mémoire reprend feu par « l’Anneau de Chillida » vers lequel les poèmes de Marilyne Bertoncini s’acheminent, dans cet hommage rendu au poète Eduardo Chillida à l’occasion du centenaire de sa naissance.
« (…) -
tout un fleuve stellaire charrié par mes pen-
sées
nasses bleues de comètes
noyées aux longs cheveux
où les pensées prennent
éclats de souvenirs dissous. »
Les poèmes, tout à l’écriture d’une quête initiatique vers « les anneaux de souvenance » que figure l’Anneau sculptural de Chillida, s’expérimentent -au fil d’un temps dénoué au sein d’un télescopage du passé et du présent, au contact des temporalités respectives du réel et du fictif (Marilyne Bertoncini construit là, dit-elle, son « musée imaginaire »)- au long d’une marche vertigineuse, au coeur d’un vertige cinétique, même les yeux clos, « au creux du noir des yeux rouverts / sur l’espace intérieur ».
Cheminement intense au long cours (« l’infini voyage ») que jalonnent les scories d’une mémoire au retour « dans le mouvement perpétuel de l’anneau d’éternité », poncées par les pierres vivantes du temps aux lapilli fragmentaires, dépositaires des ejectats d’une lave en sommeil bouillonnante d’une explosion latente, au détour des roches acides de nos brûlures obsidiennes tendues vers la prochaine déchirure comme implose un souvenir trop lourd.
Telle l’obsidienne volcanique notre regard se pétrifie et se vitrifie au contact des souvenirs en éclats, fêlés, qui viennent trouer nos miroirs, remuer la nuit des Danaïdes au tombeau perdu, « au fond des puits de l’Argolide » où nos mythes personnels mêlent leurs tourments à la douleur mythologique au chant universel.
L’écriture, à fleur de la rude réalité confiée au mantra visionnaire du poème traduit par la poétesse médium/médiatrice, transfigure les mythes fondateurs piliers d’une traversée existentielle en route perpétuelle vers la lumière, vers leur relecture à l’aune de leur réappropriation sur le fil aléatoire d’un contexte biographique ou quotidien, à l’aune d’un absolu circonstancié, dans l’immanente transcendance où s’entrelacent les anneaux de souvenance façonnés par le réel, la mémoire et la lyre des sentiments.
L’univers offre les fleurs secrètes de ses vases communicants à l’oreille absolue de la poétesse à l’écoute, qui les accueille et leur donne à chacune un nom dans son entreprise rimbaldienne de « Voyant(e) » (entreprise d’une envergure aussi mallarméenne par un certain aspect de sa tentative formelle ). La poétesse écrit un « monde dévoilé » et s’avance opiniâtrement, par la matrice efficiente et métaphysique de l’anneau d’éternité, vers
» (l’)impalpable rêve de chair
évanoui dès qu’on l’effleure »
Cette entreprise d’un appel poétique de « l’inappelable » (Pascal Quignard) se révèle inflorescence de réminiscences, tiges ou thyrse des pampres du désir (Baudelaire), ou floraison minérale, végétale, sidérale… Un univers de mondes parallèles communiquent à l’approche de « L’ Anneau de Chillida », par la médiation de la poétesse-Pythie, interprète contemporaine des laps, lapsus et constellations à l’oeuvre dans le labyrinthe d’Ariane de nos traversées existentielles.
L’anneau de Chillida, moteur d’un ample mouvement défiant le passage du temps, permettant l’éternel retour ( Héraclite, Nietzsche) propulse sa prêtresse en même temps que son lecteur au-delà de l’expérience embryogénique pour, supplément d’âme et de prescience d’un autre monde, accomplir par la parole poétique une « performance de ténèbres » (Pascal Quignard).
Murielle Compère-Demarcy (MCDem.)